CHAPITRE 8

 

 

Le lendemain, après l’école, nous avons pris le bus pour aller au Parc. Tobias, lui, s’y rendit en volant. Il nous avait dit qu’il y serait le premier, mais il ne savait pas s’il pourrait vraiment s’approcher de nous.

Le Parc, c’est un grand centre de loisirs qui comprend également un zoo, sauf qu’ils ne disent pas « zoo », mais « réserve animale ». Ma mère y travaille. En fait, elle y dirige les services vétérinaires ; c’est la vétérinaire en chef.

Moi j’ai une carte qui me permet d’entrer quand je veux, mais tous les autres doivent payer, ce qui est assez pénible car Marco n’a jamais d’argent. Depuis la mort de sa mère, son père est un peu paumé. Il ne fait que des petits boulots et ils sont toujours fauchés.

Dans un sens je trouve ça romantique, que le père de Marco ne se soit jamais remis de la mort de sa femme. Mais, d’un autre côté, comme j’ai dû l’apprendre quand j’ai commencé à aider mon père à s’occuper des animaux, quelquefois la mort survient, et on ne peut rien faire d’autre que d’essayer de s’en remettre le mieux possible.

C’est dur pour Marco parce qu’il a l’impression qu’il doit s’occuper de son père, au lieu que ce soit son père qui s’occupe de lui.

Dans le bus, à un moment donné, j’ai jeté un coup d’œil à Marco. Il regardait par la fenêtre et il était calme.

— Hé, Marco !

— Quoi ?

— T’as changé de coupe de cheveux ? Ça te va bien.

— Ah ! tu trouves ?

Il eut l’air surpris. Avec un vague sourire, il passa la main dans ses longs cheveux bruns.

Pendant le trajet, j’ai un peu travaillé (mes devoirs de maths, beurk !) et j’ai écouté de la musique sur mon baladeur.

Quand nous sommes arrivés, nous avons vu qu’il y avait une offre spéciale sur les billets d’entrée : si on en achetait deux, le troisième n’était qu’à un dollar. Ça tombait bien, Marco avait juste un dollar, ce qui nous a évité des complications.

Nous avons traversé tout le secteur des attractions pour nous diriger vers le zoo. Jake regarda le grand huit géant en secouant tristement la tête.

— Quand je pense que c’était pour moi le grand frisson, dit-il. Mais depuis que j’ai morphosé en faucon, ça ne me fait plus grand-chose. Là-dessus, tu fais, disons, du cent trente à l’heure assis dans un siège. Quand j’étais un faucon, je faisais du trois cents à l’heure sans aucune protection.

— C’est vrai que cette histoire d’animorphe change pas mal de choses, admit Marco. Je voulais absolument me faire des muscles en béton. Et puis j’ai morphosé en gorille, et après je me suis dit : « Pourquoi m’embêter avec des poids et des machines ? Je n’ai qu’à me changer en gorille et je peux soulever un camion. »

— Moi, ajouta Rachel, depuis que j’ai morphosé en chat, je m’intéresse davantage à la danse. Je veux dire que quand j’étais un chat, j’avais une telle maîtrise de mes mouvements et tellement de grâce ! Depuis, j’essaie tout le temps de me resservir de cette sensation. Quand je suis à la barre, j’essaie de me souvenir de cette assurance du chat.

— Et quand tu tombes, est-ce que ça a changé quelque chose ? plaisantai-je.

— Oh oui, répondit Rachel avec un petit rire.

Elle traça quelques petits pas dans l’air avec ses doigts, puis une chute.

— Et boum, je glisse et je tombe. Mais je me sens sûre de moi pendant que je tombe.

Nous étions arrivés près de la réserve. Les mammifères marins sont situés à l’entrée du Parc ; il y a un bâtiment principal et plusieurs bassins en plein air. Nous sommes allés directement au plus grand bassin. Il est entouré sur trois côtés de sièges où les gens s’assoient quand il y a des spectacles. Il y en avait justement un qui venait de finir, et des centaines de gens s’en allaient. Le prochain spectacle aurait lieu deux ou trois heures plus tard.

— Bon timing, dit Jake. Et en plus, il n’y a pas trop de monde.

— C’est un après-midi de semaine, expliquai-je. Il n’y a jamais beaucoup de monde les jours d’école.

Nous avons fendu la foule à contre-courant et atteint le bord du bassin.

C’est un très grand bassin, comme quatre ou cinq piscines. Et l’eau y est très bleue et très propre. Il y a une plate-forme sur le côté, où se tiennent les dresseurs quand ils veulent communiquer avec les dauphins.

— Alors quelle est la différence entre un marsouin et un dauphin ? demanda Marco. Ce sont tous les deux de gros poissons, non ?

SPLOUF !!

La surface lisse de l’eau explosa à un ou deux mètres de nous, et je reçus des éclaboussures.

— Oh ! nous sommes-nous écriés en chœur.

Il avait jailli hors de l’eau comme une torpille grise et effilée. Trois mètres cinquante de la tête à la queue, cent quatre-vingts kilos. Il fusa littéralement dans l’air, parut s’arrêter en plein vol, trois mètres au-dessus de la surface de l’eau, pour nous toiser d’un œil sceptique et nous adresser son sourire permanent de grand malin, puis glissa de nouveau sous l’eau avec une telle souplesse que la surface se rida à peine.

— Ça, c’est un dauphin, dis-je à Marco.

— D’accord, ça, ça me plaît. C’est excellent. Tu as vu ce qu’il a fait ?

Vous savez la manière dont certains grands sportifs ne donnent jamais l’impression de faire d’effort ? Comme Michael Jordan ? Leur moindre geste est parfait, et même si on sait qu’ils ont dû s’entraîner pendant des millions d’heures, ils ont toujours cet air naturel, genre « Oh ce n’est rien, je peux voler, bien sûr. Il n’y a pas de problème ».

Voilà comment les dauphins bougent dans l’eau. Sans effort. Avec une entière maîtrise.

Les poissons nagent dans l’eau. Les requins nagent, les thons nagent, les truites nagent, et même les humains nagent. Mais les dauphins, eux, ne se contentent pas de nager. L’eau est à eux ; c’est leur jouet. Pour eux, l’eau est un immense trampoline et ils sautent dessus comme des enfants qui s’amusent.

Le fait de les regarder est un bonheur. Mais ça vous donne aussi l’impression d’être un vieux jouet à remontoir, maladroit et gauche. Les êtres humains sont peut-être les créatures les plus intelligentes sur Terre, mais il est certain que nous sommes des balourds, comparés à beaucoup d’autres espèces.

— Il essaie de me convaincre de lui redonner du poisson, dit une voix derrière nous.

Nous nous sommes tous retournés. C’était un des dresseurs, une femme qui s’appelle Helen.

— Oh, salut, Helen, fis-je.

Elle fit un geste du menton vers le dauphin, qui s’élançait à nouveau hors de l’eau. Cette fois-ci, il exécuta un saut périlleux parfait.

— Joey est un sacré malin. Il essaie toujours de récupérer du rab de poisson.

— Il est étonnant, dis-je.

— Oh oui, approuva Helen avec une pointe de fierté.

Je lui présentai Jake, Rachel et Marco. Puis je commençai à lui raconter un gros mensonge.

— Nous regardions une page d’informations sur les dauphins sur Internet. Alors on s’est dit qu’on allait venir les voir en vrai.

— Eh bien comme tu le sais, nous avons six dauphins ici. Joey, avec qui vous avez fait connaissance, Ross, Monica, Chandler, Phoebe et Rachel. Tenez, ça vous dit de leur donner à manger ? Il suffit que vous lanciez quelques poissons dans l’eau et ils vont tous se montrer.

— Ça ne va pas perturber leurs horaires ?

— Non… La seule chose, faites attention que Joey ne prenne pas tout ; il est un peu sans-gêne.

Helen partit en nous laissant un grand seau plein de poissons.

— Pas très appétissante, cette poiscaille, commenta Marco.

— Tu ne diras plus ça quand tu auras morphosé en dauphin, rétorqua Rachel.

Marco lui adressa un regard sceptique.

— Tu te rends compte qu’il y a deux ou trois jours à peine, nous étions des poissons ? Et que nous n’étions pas très différents de ceux-ci, là, dans le seau ?

Il avait raison. Pourtant, je n’avais pas envie de penser à ça. Je me suis toujours sentie très concernée par les animaux. Mais c’est une toute autre affaire à partir du moment où on peut véritablement devenir soi-même différent.

J’attrapai un poisson par la queue et le lançai dans l’eau. Comme l’avait expliqué Helen, les autres dauphins firent très vite leur apparition.

— Waouh ! fit Rachel. Ils aiment manger ou je me trompe ?

Les dauphins firent tout un numéro. Visiblement, ils savaient comment impressionner les humains.

— C’est bizarre, la façon qu’ils ont de nous sourire, commenta Marco. On croirait qu’il y a vraiment quelque chose qui les fait rire.

— Et ils cherchent le contact, observa Jake. Ils te regardent droit dans les yeux. La plupart des autres animaux donnent l’impression de te survoler du regard, ou de te regarder simplement pour voir ce que tu es. Tandis qu’eux, ils te regardent comme s’ils te reconnaissaient.

Jake se pencha au bord du bassin pour caresser un des dauphins.

— Salut, toi. On s’est déjà vu quelque part ? Moi, c’est Jake.

Le dauphin bascula la tête d’avant en arrière comme pour opiner, tout en poussant de petits cris stridents.

— Alors ça, c’est bizarre, reconnut Rachel. On aurait dit qu’il répondait à Jake.

— Qui te dit qu’il ne lui répondait pas ? lui demandai-je. Les dauphins sont très intelligents. Ils n’ont pas notre forme d’intelligence, mais je crois que c’est une des deux ou trois espèces d’animaux les plus futées.

— Ça va faire bizarre de morphoser en quelque chose de si intelligent, remarqua Rachel.

— Oui, et… pas bien, quelque part, continuai-je.

Je sentis mon estomac se nouer.

— En quoi est-ce que se sera différent de ce que font les Yirks ?

Rachel parut surprise.

— Les Yirks s’emparent d’êtres humains, dit-elle. Et en plus ils ne morphosent pas, ils infestent. Nous ne nous emparons pas de l’animal, nous copions juste son schéma d’ADN, nous créons un animal entièrement nouveau, et après…

— Et après nous contrôlons ce nouvel animal, l’interrompis-je.

— Ce n’est pas pareil, insista Rachel, mais elle avait quand même l’air troublée.

— Je crois qu’il va falloir que j’y réfléchisse, ajoutai-je. Ça me tracasse un peu depuis quelque temps.

Jake nous rejoignit Rachel et moi.

— On devrait s’y mettre, proposa-t-il.

— Oui, approuvai-je en hochant la tête. Tant qu’il nous reste du poisson à leur donner.

Je me penchai au bord du bassin et tapotai la tête du dauphin le plus proche, une femelle. Sa peau était caoutchouteuse, mais pas du tout visqueuse. Au toucher, ça faisait comme une balle en plastique mouillée.

Elle me sourit en me regardant d’un seul œil, la tête inclinée sur le côté pour mieux me voir.

Chassant mes doutes, je fermai les yeux et me concentrai sur le dauphin. Elle devint calme et paisible, comme tous les animaux pendant le processus d’acquisition.

« Ai-je le droit ? » lui demandai-je silencieusement. Mais bien sûr elle ne pouvait pas me répondre…

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